C’est le matin, les oiseaux chantent, moi je suis déjà debout depuis plusieurs heures parce que je suis passé ouvrir la boulangerie et préparer le pain du matin. Je suis d’ailleurs en train de manger un croissant quand j’entre sans cérémonie dans tes appartements au Q.G. des Sentinelles (me demande pas depuis quand j’ai la clef, ni qui me l’a donné. Je suis tenu au secret professionnel), en sachant pertinemment que t’allais pas être réveillé. Déjà, comme spectre, pourquoi tu as besoin de dormir, ça je le sais pas. Pourquoi tu sais pas utiliser un simple cadran, ça, je me l’explique un peu mieux, la technologie est sûrement pas disponible dans ton univers et époque d’origine, quoique, toi, t’s dû passer par Everwilde High comme moi, donc au final, cette excuse est un peu faible.

Et il se trouve que ce matin, on est de corvée de patrouille, ensemble. J’ai de la chance d’être avec toi, au fond, parce que tu peux très bien gérer les rebelles tout seul. Tu n’as pas besoin de moi pour t’occuper de la patrouille en soit, t’es fort, t’es rapide, t’es déjà mort donc c’est dur de te faire mal, et puis t’as l’habitude. Mais si on m’a mis de pair avec toi, c’est pas pour rien, on se complète. Toi, ton rôle, c’est de porter la responsabilité du bon fonctionnement de la patrouille sur tes épaules.

Moi, ma responsabilité, c’est de te réveiller.

On pourrait croire que c’est pas grand-chose, mais quiconque dira ça n’a clairement jamais essayé de te réveiller, et encore moins de te faire sortir de ton lit et de tes couvertures. Puis, j’ai pas que ce rôle; toi, t’as pas ta langue dans la poche, alors quand il faut parler avec des citoyens et leur demander ce qu’ils ont vu, c’Est bien d’avoir quelqu’un de non terrifiant comme moi à qui pouvoir parler. Mais ça, ce sera quand tu seras réveillé, et c’est loin d’être encore gagné.

« Bon matin, Tentacle-Senpai » dis-je d’une voix enjouée en entrant dans la pièce sombre, me dirigeant non pas vers le lit, mais directement vers les rideaux que j’ouvre sans ménagement, d’un seul grand geste souple, pour laisser entrer les rayons de l’astre solaire dans la pièce qui sent le renfermé, la flotte et le bois mouillé. J’en profite donc pour même ouvrir un volet, histoire d’aérer la place. Puis je le tourne vers toi, un rire s’expulsant de mes poumons alors que je réalise que tu flottes dans les airs, à quelques pouces de ton lit, ta couverture tombant de chaque côté de ton corps comme un linceul. Bon, pourquoi la couverture n’est pas passée bord en bord de ton corps, ça je sais pas, par contre, il y a longtemps que j’ai arrêté d’essayer de faire du sens de ta condition.

« J’ai emporté des pâtisseries du travail » oui, je sais, t’as pas besoin de manger, mais si tu t’empêches pas de boire comme un trou, y'a pas de raison pour que tu ne puisses pas manger non plus. Je pose mon petit panier d’osier sur la table de chevet à côté de ton lit, mettant mes poings sur mes hanches. « Allez, debout! » mais bon, tu le sais, tout le monde le sait, de l’autorité, je n’en ai pas. Ce n’est pas pour rien que je tente de te soudoyer à coup de pâtisseries.

« Il est dix heures du matin » que je dis sans plus attendre, un sourire aux lèvres; et oui, j’avais fait exprès d’attendre à la dernière minute pour venir te réveiller, dans l’espoir vain que ça te fasse te lever et préparer plus rapidement, au lieu de trainer. Ça te donne plus de temps pour sommeiller, c’est comme ça en tout cas que je me l’explique, même si bon, je doute que ça fasse effet, tu risques plutôt de blâmer notre retard son le réveil tardif. Mais bon, au final on fera notre boulot comme il faut, je le sais, même avec quelques minutes de retard.

Depuis la chambre, je n’avais pas hésité à te suivre jusqu’à la cuisine, ce qui faisait assez étrange parce que nos appartements étaient un peu tous semblables dans leur disposition, mais leur « feeling » était, lui, complètement différent. Tu me tends ta boisson alcoolisée et j’hausse un sourcil mi-amusé, mi-surpris, et puis après un haussement d’épaules, je m’en saisie pour en prendre une gorgée. Ça a le même goût de fermentation que d’habitude, au fond, qu’il soit 10 heures du matin ou 10 heures du soir. Bon; vous vous dites peut-être « Mais Sorel, c’est vraiment pas professionnel de boire à cette et juste avant d’aller travailler » et vous avez entièrement raison, à ceci près : c’est vraiment pas une canette de rousse qui va me mettre pompette. Gracieuseté de mon pouvoir qui réagit drôlement à tout corps étranger, il m’en prend beaucoup, beaucoup pour être affecté par la boisson, et en ce sens on est un peu semblable, toi et moi!

Je pose la canette sur le comptoir après ma gorgée, par contre, parce que je n’éprouve pas le désir de continuer à en boire. Si j’avais pris ma gorgée, c’était surtout par politesse, pour t’accompagner dans tes mauvaises habitudes. À deux, c’est plus convivial, quand même! « Ce sera tout pour moi » que je dis en faisant tournoyer une mèche de cheveux, « le goût de la bière c’est pas top avec les pâtisseries » même si bon, manger du pain ça aide les gens à absorber l’alcool et ne pas devenir pompette, ce n’était pas nécessaire dans mon cas (ni le tiens), alors pourquoi gâcher le bon goût de mes confections? « On est supposés faire un tour de l’esplanade » que j’ajoute sans perdre de temps, me mettant dos à ton comptoir avant d’y poser mes paumes et de me donner une impulsion pour venir m’y assoir, la surface froide contre mes cuisses là où mes shorts s’arrêtent. « Bien dormi, sinon? »

Il était évidant, juste dans le soin que j’avais mis pour m’installer, que je ne me faisais pas d’illusion sur le temps que t’allais mettre à te préparer avant de quitter ton chez-toi. Autant m’installer confortablement. Puis bon; qui c’est qui va se plaindre de nous? T’es le bras droit de Raul et moi, je suis son snack préféré. C’est un peu notre uno reverse à tout moment, ça, hein, s’ils sont pas content, ils devraient surtout arrêter de te refiler le vadrouille avant une heure de l’après-midi!