Le crayon effectua une énième pirouette avant de venir s'écraser contre le sol en un vacarme muet, amuït par le tapis couvrant l'espace entre le lit et le bureau d'où était tombé l'outil. Yeux vermillons descendant de leur combat avec le plafond pour venir rencontrer la figure bleutée du stylo échoué au sol, leur propriétaire laissa sortir un grognement. Maintenant que la distraction occupant ses membres avait disparue —si loin—, les fourmillements de l'ennui regagnaient ses mains le dictant de faire quelque chose afin de les occuper à nouveau. Lancer le crayon les avait distrait quelques temps, mais maintenant que l'objet était à terre, il fallait se pencher pour le rattraper ; au cerveau paresseux de Vasileios, c'était une véritable épreuve de se relever de sa posture couchée sur sa chaise de bureau. Tentant une rescousse sans coeur, il laissa son bras pendre dans le vide à quelques centimètres de son objectif.
Les journées sans mission étaient les pires. Vasileios avait toujours eu quelque chose à faire avant sa graduation : si ce n'était pas des devoirs, c'était du travail supplémentaire, de la recherche ou des apparences publiques aux côtés des Frères Grimms. Maintenant qu'il était Mage en Chef, les apparences avaient décuplé, mais il se retrouvait néanmoins avec des trous dans son horaire où la population d'Everwilde ne s'arrachait pas la présence de leur chef de sécurité. Il aurait pu se lever et aller dans la salle d'entrainement ou encore à la bibliothèque, mais l'envie de croiser des gens et de voir socialiser lui manquait aujourd'hui. Il avait été alors tout logique de végéter dans sa chambre pour passer le temps.
Se redressant avec une grimace pour son dos meurtri de sa posture, le Prince laissa son menton rencontrer la surface de son bureau, position encore plus atroce pour sa colonne que sur sa chaise. Il chercha des yeux quelques chose, qu'importe, afin de le libérer de son attente. Son regard tomba sur le miroir de poche qu'il gardait toujours avec lui, pratique et sans décorum. Scannant sa réflection quelques instants, il haussa des épaules et se concentra sur le lien entre la surface miroitante et ses consoeurs. Que regarder... Que regarder... Pas les entrées des gens, ce n'était jamais intéressant... Absolument pas les salles de bain, il avait déjà fait l'erreur une fois dans sa vie et n'était pas friand de recommencer l'expérience. Il restait les fenêtres, aussi floues qu'elles l'étaient à sa vision.
Rien ne semblait arriver autours de la Place de la Couronne... Instinctivement, son regard se tourna vers le Quartier du Mal, plus particulièrement au Siège de l'Alliance. Vasileios n'avait jamais réussi à glaner des informations intéressantes dans le QG de leur ennemi : le bouclier semblait interférer avec sa vision et les fenêtres des Évadés semblaient toujours être floues. Le plus qu'il avait déjà réussi à capturer était l'agenda bien peu rempli d'une luciole détaillant son plan pour son épicerie du mois. À moins qu'il soit capable d'utiliser les préférences culinaires de ses ennemis contre eux, l'information était tout sauf pertinente. Mais malgré cette inutilité, le sorcier semblait être attiré par le mystère autours des Évadés, vers l'interdit, comme si l'action était suffisante afin de trouver des preuves que les contes renégats étaient tout le contraire des membres de l'Ordre.
Vasileios ne s'attendait pas à voir grand chose par la fenêtre qu'il surveillait. Elle était dans le hall d'entrée de la bâtisse donnant vue sur l'entrée et laissant rentrer le peu de lumière capable de percer les nuages du Quartier des Vilains. Le Fils était content d'observer le va et vient des différents évadés, comme le flot d'une rivière, à moitié concentré sur le mouvement : il était incapable de reconnaitre quelconque détail, il avait déjà essayé. Une forme rouge et jaune attira toutefois son attention, se débattant contre ses geôliers. Un membre de l'ordre? Une sentinelle? C'était nul, mais il ne pouvait pas faire grand chose, pas pour un seul membre prisonnier. Cela ne l'empêcha toutefois pas de se reconcentrer sur l'action se déroulant sous son regard, happé par le sort prochain de son allié. Bougeant de la grande fenêtre, il passa à un miroir dans le couloir afin de pouvoir mieux observer la scène ; il posa ses yeux écarquillés sur le visage du Petit Chaperon Rouge. Encore.
Vasileios suivit le mouvement de la Sentinelle du mieux qu'il le pouvait, sautant de surface à surface en essayant de cartographier l'itinéraire du blond vers les prisons des Évadés, mais il perdit le contact lorsque se dernier fut amené dans le sous-sol du siège de l'Alliance —On ne gardait pas des miroirs et des fenêtres dans le sous-sol normalement—. Adressant des regards à sa porte, Vasileios hésita : la démarche officielle à faire aurait été d'alerter l'Ordre et le Loup. Nul doute les Sentinelles étaient déjà au courant du kidnapping d'un de leur membre, leur guérisseur en plus. Mais qui savait entre le temps pour organiser une force suffisante afin de procéder à un sauvetage ce que l'Alliance était capable de faire avec Rousseau... Non il fallait agir maintenant.
Attrapant son Bo et enfilant un masque et une tunique noire avec un capuchon, Vasileios adressa un dernier regard à son point de sortie afin de s'assurer qu'il n'y avait personne alentours, puis sauta.
Enfin, on ne s’attend sûrement pas à moins de la part des engeances du quartier du mal, au fond. Les Lucioles n’ont aucune raison d’être moins impitoyables que les Sentinelles, quoique de ce que je sais (et c’est très peu), le sort qui m’attend (celui d’appât, celui de soigneur contre mon gré, celui de prisonnier) est cent fois plus doux que celui qui est tombé sur euh… c’est quoi son nom déjà? Y'a eu le monstre de Frank Einstein qui s’est fait prendre par Raul et qui a passé un mauvais quart d’heure. Igor, c’est ça? Dans tous les cas, je me suis fait prendre.
Encore.
Comment?
Habituellement, je me fais prendre sur la route en allant à la boulangerie où je travaille (le Petit Pain), puisque c’est tard et qu’il n’y a souvent personne pour me porter secours. Ah! Mais pas cette fois. Je me suis fait avoir en plein jour, par quelqu’un de mon âge, une femme, qui m’a d’abord complimenté sur mon style vestimentaire, et puis la conversation s’est animée et elle m’a offert deprendre un café ensemble. Vous pensez peut-être qu’on est allés le prendre tout de suite, mais non : c’était un plan à plusieurs étapes et c’est ce qui a fait tomber mes (maigres, futiles) défenses.
J’aurais dû faire vérifier les informations de contact par quelqu’un. J’aurais dû faire note d’où j’allais, du fait que j’avais rencontré quelqu’un, mais- mais à vrai dire mon cerveau ne conceptualise pas encore que je suis un élément clef de toute cette histoire. Pas par importance, mais pas proximité. Parce que Raul c’est un des gros joueurs et étant sa proie, je deviens donc un appât de choix. Mais voilà; j’ai été personne toute ma vie, et toute ma vie durant j’ai été juste moyen dans tout et personne ne m’a vraiment donné d’importance. Alors j’suis allé au rendez-vous, j’ai bu mon café, et qu’est-ce qui arrive ensuite?
Bah j’étais légèrement étourdis (et je ne veux pas savoir ce qu’on a pu glisser dans mon latté, ou même si c’était elle la responsable ou si elle était en ligue avec le barista), alors on est allés faire une marche dans le parc d’en face et, une chose en entrainant une autre, je me suis fait embarquer dans une vanne blanche comme pour les kidnappings d’enfant, ceux avec pas de fenêtres à l’arrière. Bon le soucis c’est qu’avec ma fontaine de jouvence, disons que ce genre de chose ne dure pas très longtemps (mais ils devaient le savoir, non, depuis le temps?). J’aurais pu me débattre, j’aurais pu les repousser, j’aurais pu courir.
Mais comprend : ça demande de l’effort, ça, et les chances de succès étaient minces.
Alors je me suis même pas donné la peine de tenter, en fait.
Je me suis installé dans la vanne sans nom, sans histoire, et puis je leur tends mon sac à bandoulière qui contient mon téléphone et ma tablette en plus de toutes les babioles que je traine avec moi;
Pour eux.
Pour moi, on repassera.
En plus, je voulais emmener Chouquette au parc de chien, la pauvre.
J’espère que quelqu’un ira la nourrir, au moins.
Après tout, c’est tellement courant que je me fasse kidnapper, c’est fou qu’on ait pas un plan de contingence, comme les petites étiquettes qu’on met à la fenêtre en cas de feu pour qu’on sauve tes animaux aussi.
C’est plus fort que moi; pipelette, je me mets à leur taper la discussion. Ce qui ne plait pas à notre chauffeur, qui dit que je suis trop « dérangeant » et « que je dois vraiment me la fermer » et que « c’est sûrement un subterfuge pour créer une distraction ». Je promets de me taire et en échange, on aura la gentillesse de ne pas me bâillonner. Et perso l’idée qu’on me foute un truc sale dans la bouche, ça me plait pas, alors je fait l’enfant sage, tu vois?
Et ça nous emmène là où je dois aller. Avant de quitter la vanne, on prend la précaution de me bander les yeux (bon déjà, y’aurait pas fallu faire ça pendant le voyage en auto? Là j’ai tout vu de la route empruntée. Puis ils ont mis ça n’importe comment, je peux voir mes pieds) pour me faire entrer dans ce que je devine être leur quartier général, me faisant emprunter un chemin indirect vers le sous-sol où on garde les cellules pour ceux qui sont assez idiots pour se faire prendre (c’est moi ça). Au moins j’ai l’habitude, à force, et j’espère surtout qu’on me nourrira suffisamment, même si c’est du gruau ou des patates, parce qu’avec mon pouvoir, mon métabolisme est un peu hyperactif!
Et puis, on arrive à ce que tu vois; j’aimerais te dire que j’ai lutté, que j’ai tenté ma fuite à la première occasion, amis non. Ce qui est arrivé, c’est que mes lacets se sont détachés et je me suis pris dedans, manquant faire un vol plané direction le planché si ce n’était de notre conducteur qui m’avait attrapé avec force (un peu trop, à mon avis), probablement un réflexe parce qu’il avait justement peur que je profite d’un moment de distraction pour m’enfuir.
Et puis, juste comme ça, j’étais seul dans ma cellule.
Avec rien à faire.
À me tourner les pouces.
À me demander combien de temps ça prendra pour qu’on vienne me chercher.
Quelques heures? Des jours? Plus d’une semaine? Tout était possible, après tout. J’imagine que d’une fois à l’autre, on augmentait la sécurité autour de ma cellule.
Enfin tout ça pour dire que du temps que tu auras rejoins ma cellule, je serai assis en tailleur dans le lit pas ultra confortable, mes chaussures abandonnées sur le sol, un petit jus de pomme en main et un regard assez surpris sur le visage.
Masque de tissu noir recouvrant la moitié inférieure de son visage blanchâtre un peu à l'allure des espions asiatiques dans les livres, Vasileios essayait de se fondre dans les ombres à l'image de ces mythes. Une chance — Pour lui, moins pour l'Alliance — que la sécurité autours des cellules semblaient être plutôt lousse, probablement car les Égarés se fiaient à leur bouclier pour retenir les invasions. Ils ne croyaient pas qu'il était possible de le franchir et si Vasileios pouvait l'empêcher, ils n'apprendraient jamais de ses capacités. Il ne constituait aucunement une menace avec sa vision plus que floue et son unique personne : aussi confiant qu'il était en ses capacités, il devait accepter défaite face à l'entièreté du Quartier du Mal. Il serait impossible pour lui d'infiltrer et pouvoir mener à bien une mission sans perdre sa liberté (et sa vie). Alors il se limitait à ne pas agir... Ou enfin, c'était ce qu'il s'était juré, mais Sorel avait changé la donne.
Dire une chose était bien plus facile que de l'effectuer.
Collé au mur, le Prince attendit que les Lucioles passent devant lui avant de franchir le seuil des cachots aussi vite qu'il était capable, ne souhaitant pas tenter le diable plus qu'il le faisait déjà. Il s'imaginait déjà le scandale d'apprendre que le Mage en Chef de l'Éternité avait été capturé dans le QG des Lucioles, dans le Quartier du Mal en plus. Mais que diraient les Frères!
Se permettant quelques instants pour souffler, Vasileios continua sa lancée en direction des cellules, yeux écarlates scannant les barreaux dans l'espoir d'y apercevoir une mine blonde aux orbes ambrées.
C'est ainsi qu'il tomba sur Sorel dans sa cage. Se ruant contre les barreaux, il retira son masque afin de laisser la Sentinelle le reconnaitre, puis jeta des regards à la serrure à la recherche d'une façon de libérer le Chaperon.
— Vasi-, Vasileios grimaça face au vacarme que fit la voix de l'autre, Je m’attendais pas à vous voir, ses épaules remontèrent jusqu'à rencontrer ses oreilles, mal à l'aise : "Oh t'inquiète, moi non plus je ne m'attendais pas à me retrouver ici", Est-ce que ça veut dire que l’ordre est sur la piste de la personne qu’ils tentent de soigner? Je suis super intrigué aussi
Grommelant sous son souffle, La Reine sortie un trousse de crochetage de sa ceinture (il était venu préparé dans l'éventualité où il devrait libérer Sorel) et se mit au travail.
La porte chancela ouverte avec un grincement sonore.
Vasileios l'ouvrit doucement afin de réduire le bruit afin de laisser Sorel passer, puis la referma derrière lui.
Nous. Comme si on allait me laisser participer à cette « mission ». Non, en fait, je m’attends plutôt à ce que tu rebrousses chemin maintenant que t’aies l’information, pour laisser quelqu’un d’autre venir me sauver. Après tout, je sais : je suis lent, je suis pas particulièrement discret, j'ai pas vraiment de talent qui peut venir en aide en mode infiltration. Encore, si on passait par la porte d’entrée pour forcer le passage, je dis pas, là je suis pratique pour gérer les blessures, et encore, on préfèrerait sûrement que je garde position dans les rangs arrières.
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