Écoutez, je suis généralement une femme bien éduquée et polie, mais là ça le mérite : PUTAIN de MERDE.

Voyez la scène : je suis passé au quartier du mal, ce qui veut dire que j’ai revêtu une pelisse humaine, parce que bon, je tiens à ma vie privée, tout ça.
Je suis allé de vendeurs de pacotilles en sorcières émérites, le tout pour perfectionner le meilleur costume d’Halloween.
Par meilleur, j’entend qui répond à mes critères. Pas de vêtements contraignants, pas de s o u l i e r s, quelque chose qui peut voler.

Alors tout naturellement, je me suis arrêté sur un déguisement de fée / nymphe. Enfin quelque chose dans ces eaux-là. J’ai une potion qui me donnera des ailes de papillons géantes (elles ne voleront pas, mais ça, je peux déjà le faire, alors c’est pas un problème), je me suis trouvé un masque de bois qui viendra s’accrocher, se mouler au haut de ma tête. Quelque chose qui ne peut être retiré qu’en nommant une formule magique, pour vraiment être capable de garder mon identité secrète. J’ai une robe qui ira parfaitement avec le reste. Un costume simple, efficace, facile… et discret, je l’espère. Enfin, avoir des ailes de papillons c’est pas la plus subtil, dira-t-on, mais nous sommes à Everwilde… ça passera.

Bon, jusque là, tout va bien.

Sauf que comme d’habitude, ma potion de transmutation en humaine fait des siennes.

Me voilà qui prenne le pas, mon sac avec mes emplettes dans une main, mes pieds qui s’activent pour courir même si au fond je ne touche pas vraiment le sol (un mimétisme un peu particulier, à l’origine qui m’est inconnue), mais ici, dans les ruelles, il n’y a pas beaucoup de vent qui puisse me porter plus rapidement, surtout que je ne veux pas m’envoler à partir d’ici : j’ai trop peur qu’on me remarque.

Alors je m’affaire à entre dans une ruelle sombre, espérant ne croiser aucun arme qui vive. Je peux voir que mes cheveux commencent à redevenir des flammes bleues, aux pointes; que mes mains se sertissent de griffes et deviennent noires, et mes yeux commencent à briller comme mon feu intérieur.

Merde.

C’est comme si mon corps proteste, s’indigne, tant de résister. Je pose ma main contre le mur d’un immeuble mal entretenu, me tenant le ventre des mains. Je sens ma peau qui commence à devenir écailles, mes dents qui deviennent plus pointues… et avec tout ça, je dois arriver à sortir de la ville avant de prendre mon envol.

Et pour bien faire, dans cette ruelle abandonnée… il y a quelqu’un. Toi. Je ne te connais pas, je n’ai jamais vu ton visage, mais j’ai peur, comme un animal pris en cage. Tu es là où je dois aller, le chemin le plus court pour aller vers l’extérieur de la ville. Mon regard se pose derrière; je pourrais rebrousser chemin, mais si je le fais, je risque de ne pas me rendre à temps.

Je pèse le pour et le contre pendant un court, très court instant, et puis finalement, je décide de passer au travers de toi. J’avance vers toi d’un « pas » décidé, et au passage te fait un jeu d’épaule maladroit pour te repousser, quand bien même j’ai mal. « Pardon » que je dis, le souffle court – parce que j’ai beau avoir peur, je reste… polie. C’est le minimum, je crois. Surtout que je passe en coup de vent (littéralement). Mes pas se veulent précipités – prendre le premier tournant que je peux pour me soutirer à ta vue sera une bonne idée…

Mais!?! Tu crois que tu fais quoi là? C’est vraiment pas le moment! Je commence à m’énerver – il en aura fallut de si peu, mais c’est vraiment une situation critique en ce moment! Après tout suis-je en train de me dé-transformer, et ça, c’est un secret d’importance primordiale. Je pourrais m’excuser – un petit cri de rien poussé alors que je continue à avancer, mais non; tu m’as pris en chasse, et avec tes jambes trop grandes de géant (enfin… comparé à moi, pas mal tout le monde relève du géant), non seulement tu arrives à calquer mon allure, mais en plus, tu prends les devant, me bloquant ainsi la vue et me forçant à aller dans la même direction que toi si je veux sortir de cette ville avant de retrouver mon apparence de Qilin.

Oh – certes, j’ai un peu honte, mais sur le cou je suis un peu moins en train de t’écouter (juste d'une oreille, pendant que je cogite), et un peu plus en train de me demander comment te faire un bon croche-pied pour que tu tombes et que je puisse prendre les devants. C’est vil, je sais, mais à la guerre comme à la guerre, diront certains. Mais comment te faire un croche-pied quand tu es devant moi? Bon; à la prochaine intersection, je m’arrangerai pour te perdre, que je me dis. « Hein, oh, un peu peu oui » répondis-je distraitement à la question est-ce que je vous dérange. N’ais-je pourtant pas l’air d'une personne pressée, stressée, anxieuse de continuer son chemin? À tout le moi je peux te donner ça, avec ton rythme de croisière, je n’ai pas eu à ralentir. Puis c’était quoi cette histoire à peine croyable de potiche qui s’est perdue? On est en pleine ruelle d’un quartier pas bien, tu crois quoi? Que je suis la dernière potiche née sur terre? Je roule les yeux, je soupire, et je continue vers l’avant sans m’adresser à toi; c'est que je sens mes canines pousser dans ma gueule et disons que je ne voudrais pas me mordre la langue.

« Oui, je sais où je vais, et ce n'est vraiment nulle part où tu à affaires, alors… » Je te darde un œil fatigué alors que mon corps se cambre et que je sens mes cheveux s’embrasser sur le sommet de ma tête – un processus qui ne me fait pas mal mais qui est, au demeurant… spectaculaire à regarder. Mes cheveux passent d’argentés à bleutés très rapidement, ce qui vraiment n’est pas ce que j’aurais voulu, mais peut-être que le grandiose de la chose te fera t’arrêtera (quelque chose d’autre le fera, give or take trente secondes).

« Ouais, tu vois, je me disais exactement la même chose sur toi » oups, j’ai mal formulé. Je ne voulais pas dire que je te trouvais alléchant, mais bien que j’avais l’impression que toi tu me trouves alléchant. Mon cerveau tourne trop vite, je n’ai pas pris le temps de bien m’exprimer. Je tends le bras, un bras gracile et dénudé puisque le froid n’est pas pour moi un problème; c’est que je tente d’user d’un peu de force (pour autant que j’en aie…) pour te repousser quelque peu, mais mon bras happe le vide; tu t’es étalé au sol sans que j’arrive à savoir pourquoi (un piège, me hurle ma psyché) et moi qui pourtant ne le touche pas, je me trouve entrainé dans le mouvement et la panique, trébuchant il ne semblerait sur rien pour venir rouler au sol comme une poupée de chiffon.

Et oui, peser trois plumes, c’est parfois pas joyeux. On peut vous faire revoler pour rien.

Je tente de me redresser, mais quelque chose dans mon échine m’en empêche; c’est ma colonne vertébrale qui tente de se contorsionner dans une position plus « quadrupède », voyez, et pour le moment on dirait surtout que je suis pliée en deux à cause d’un mal en bide, mais je le sais – il ne me reste pas beaucoup de temps. Alors en désespoir de cause, ma voix s’échappe d’entre mes canines comme un sifflement aigüe alors que d’un geste vague et vif du bras, je laisse mon feu parler à ma place, le laissant former un arc devant moi pour me protéger. Je n’aime pas faire cramer des gens, mais je ne peux pas non plus accepter qu’on me voit ainsi… et alors que les flammes quittent mon corps, protectrices, bleu-argent, elle cache le reste de ma transformations; quelques instants plus tard, j’ai repris ma chère et fière forme. Si près du but, si loin en même temps. Mais je me dis que si je peux faire en sorte que tu reste là où tu es, je pourrai peut-être filer en douce, m’envoler dans le ciel sans regarder en arrière.

Encore heureux, mon feu n’a pas tendance à se nourrir du mobilier. Il est bien dressé, après tout.

Je me cambre et je feule, tel le chat domestique qui ne voudrait pas se faire caresser; mais à travers mes yeux bleus étincelants, je vois quelque chose qui me surprend; tu passes au travers de mon feu, certes confus, mais ne tout cas pas blessé, pas repoussé – pas touché. Oh; tu n’es pas le seul, bien évidemment. Mon feu ne vient pas blesser les vertueux, après tout. Ma position chance du tout au tout; il semblerait que je me sois vraiment confondu à ton sujet. Je prends une position certes timide, mais en tout cas moins agressive, et, à quatre pattes, je t’observe sans comprendre – le traducteur universel d’Everwilde ne devrait-il pas me traduire tout ce que tu dis? À moins qu’il ait mystérieusement arrêté de fonctionner juste là, alors il tenait à raison de croire que c’était que tu ne disais rien de cohérent.

Je n’ai pas croisé beaucoup d’êtres comme toi – plus mécaniques qu’organiques. Je ne connais des robots que ce qu’on a bien voulu m’en montrer à Everwilde, et si j’ai lu les livres d’Issac Asimov (remportés du monde humain par Aubain), en tout cas ne suis-je vraiment pas préparé à t’aider dans… enfin, qu’importe ce qui t’affliges. Au moins, je comprends tes derniers mots; je me redresse, léger comme trois plumes, et je laisse un petit courant d’air me porter alors que je donne l’impression de sauter d’endroit en endroit pour venir tournoyer autour de toi pour mieux te regarder; ma longue queue touffue vient effleurer tes jambes alors que le reste de mon corps se pose au niveau de ton regard.

« Je vais bien, simplement de la surprise » et puis j’ajoute; « Et toi? Tu sembles avoir cogné ta tête » c’était, après tout, ce que j’avais de plus près comme vocabulaire pour identifier le court-circuit que tu étais en train de vivre. « Pardon, je croyais que- » que tu étais méchant; « Enfin, c’est pas important. Je suis vraiment dans de gros ennuis! S’il te plait, pourrais-tu me cacher dans ton manteau et me mener aux abords de la ville? Promis, je t’indiquerai comment retrouver ton chemin après »

Ce n’était pas mon genre de laisser mon destin entre la main d’étrangers – mais mon feu semble t’apprécier, alors je n’ai d’autre choix que de te faire confiance. Je suis inquiet; inquiet de ce qui se passe dans ta tête, de ne pas pouvoir t’aider, inquiet de penser que mon égoïsme me pousse à te demander de l’aide quand c’est toi qui en a le plus besoin. Mais que puis-je faire pour toi, sous cette forme? Je dois protéger le secret de mon apparence. Je doute que quelqu’un ici en connaisse suffisamment pour tenter de m’utiliser… mais qui sait entre les mains de qui cette connaissance pouvait-elle être dangereuse. Quelqu’un que je croise aujourd’hui pouvait être arrêté par des sentinelles demain, et être interrogé à mon sujet. Non; je n’ai d’autre choix que la peur qui me ronge tout entier…

Quand bien même il serait plus logique de s’occuper de tes soucis.

Tu te frappas la tête et mes oreilles se penchent vers l’arrière; je me cambre légèrement, mais c’est une petite plainte triste qui s’échappe d’entre mes lippes chimériques. « Ne te fait pas de mal » que je dis doucement – ne sachant définitivement pas ce que tu es ou qui tu es, je ne peux pas dire si tu as réellement mal en ce moment, mais il est évident en tout cas que quelque chose ne tourne pas rond avec toi. Et comme tu es un être pur, ton sort m’importe (il va sans dire que je me soucis tout de même des impurs, juste pas dans la même capacité ou de la même manière), alors me voici qui me laisse porter par un courant d’air pour tourner autour de toi, comme pour vérifier que tu n’avais pas de blessure apparente ailleurs, mais aussi pour tenter de comprendre ce que tu es. Je me plais à ne pas juger un livre par sa couverture, comme on dit (quoique tout juste un instant plus tôt j’assumais que tu avais des intentions néfastes envers ma personne…), mais il est vrai que de savoir ;a quel genre d’être on a affaire, ça aide un peu à comprendre sa réalité. Si je savais que tu étais un androïde… et bien j’aurais plus de questions que de réponses à vrai dire, parce qu’au fond je ne connais rien des androïdes et je suis un peu nul avec la technologie. Passons.

« Oh! » que je m’exclame en te voyant aller dans toutes les directions comme une boussole mal alignée; « Moi, je sais par où il faut passer. Mais je ne peux pas y aller sous cette forme, tu vois? Il y a des gens méchants qui aimeraient bien m’attraper, et moi je ne veux pas d’ennuis » est-ce que j’en dit trop? Mais tu as l’air si inoffensif, maintenant que je te vois de près. Ou alors, tu joues extrêmement bien la comédie. « Si tu me mets dans ton manteau, je pourrai t’aider à te diriger » et puis tu soulèves le problème de ton manteau qui est… évidemment trop petit pour nous deux. Après tout n’est-il faut que pour toi, de base, donc il est très normal que je ne puisse pas me faufiler à l’intérieur. J’ai beau avoir une petite taille (je suis encore en train de grandir!), la vérité c’est que je fais un 70cm de haut, et ne parlons pas de la longueur de ma queue bien touffue!

« J’ai une idée » que je souffle finalement; « Retire ton manteau, pour commencer » et me voilà qui se rapproche de toi, comme attendant que tu t’exécutes. « Je suis très chaud. Tant que je suis près de toi, tu n’auras pas froid » et comme pour prouver mes dires, je laisse les écailles de ma queue bleutée couler autour de ta taille pour t’enserrer délicatement et te réchauffer. Faut bien que ce soit pratique, ce talent inné que j’ai. « Enroule moi dans ton manteau, et porte moi. Je suis très très léger, ce ne sera vraiment pas difficile! » que j’ajoute comme pour te convaincre. Je sais que je t’en demande beaucoup, au fond, et je m’inquiète de la direction que tu prendras une fois que je t’aurai guidé vers là où tu veux aller. La bonne chose à faire serait évidemment de te conduire là où tu veux aller et de m’occuper de mes problèmes tout seul, mais je ne sais pas dans une position privilégiée où c’est possible pour moi de faire les deux…

Je ne m’y attendais pas; ton rire a un quelque chose de mécanique qui ne m’est pas familier. Quelle drôle de créature tu es – et pourtant je sais que de nous deux, le plus bizarre c.est certainement moi, chimère que je suis. Quand bien même, ce n’est pas une compétition et il y a bien assez de bizarerie dans le monde pour que nous le soyons tous les deux. C’est bienheureux que tu aies été sur mon chemin, au final. Et blotis contre toi je peux m’assurer que tu n’as pas froid quand le vent se lève. Oh; la situation est un peu comique, parce que ton manteau n’est pas nécesairement la bonne forme pour me cacher; le bout de mon museau dpasse pour venir se poser contre ton épaule, et ma queue touffue, elle, est carrément hors du manteau parce que mes poils sont trop épais. On a deux donc l’air très, très louches – enfin dans le sens qu’on a pas l’air de quelqu’un qui ne cache ien, tu vois? Mais c’est mieux (pour moi) que de se faire prendre sous ma vraie forme.

« Oh,  eum » commençais-je à te répondre – pas du tout une réponse en soit, mais le fait que j’hésite pouvait en dire plus que mes mots, je suppose. Je n’aime pas mentir – pas à une âme aussi pure et douce que la tienne, au fond. Mais je sais aussi que mon secret est primordial à garder. Si je ne crois pas que tu pourrais l’utiliser contre moi, en tout cas il n’est pas certain qu’on ne tente pas de te soutirer l’information. Oui; c’est pour ta sécurité, au fond, que je ne dis rien (ou en tout cas c’est ce que je me répète), parce que si tu ne sais pas, on ne peut pas t’utiliser ensuite pour me retrouver.

Quelque chose comme ça. Au final c’est moi que ça protège, surtout. Mais ce qui me protège moi protège également mon parent; et si quelque chose venait à arriver à Nessie, je sais que je m’en voudrai plus que tout au monde.

« Il y avait quelqu’un, oui. Ta mémoire ne te fais pas défaut » quelle ironie de te dire ça à toi, pas vrai? Mais je ne connais rien de tes troubles de mémoire, pas vraiment en tout cas. Juste que tu es une personne aisément confus. « Mais comme tu peux voir, elle n’est plus là » que j’ajoute et ça me ronge un peu l’être et l’estomac; j’espère simplement que cela fera taire le plus clair de tes questions plutôt que d’atiser ta curiosité.

« Hé ben, qu’est-ce qu’on a là? » et moi dont les yeux sont cachés dans la noirceur de ton manteau, me voilà qui fige. Qui dont vient de t’acoster? Je ne vois pas et je ne peux pas regarder, mais c’est comme si j’essayais de me faire plus petit alors que je m’écrase contre ton torse. Dans notre chemin vers la frontière de la ville, il semblerait que nous ayons attiré l’attention de quelqu’un… et à son ton, je suppose qu’on peut dire qu’il n’a pas de bonnes intentions… mais je pourrais me tromper- tout comme je me suis trompé pour toi, au fond.

Oh, ok; il n’aura jamais été aussi facile de convaincre quelqu’un de quelque chose, ou de cacher une partie de vérité – tu ne poses pas de questions supplémentaires et ainsi soit mon identité est sauve, soit… soit tu es un très bon menteur, au fond. Et disons que vu la tronche que tu tires et tes moments d’absence, je commence à douter de la chose. Et puis, mon feu purificateur ne t’a pas affecté, et ça, ça ne peut dire que tu as un cœur pur ((à moins, bien évidemment, que tu ne sois pas organique; en soit une machine ne peut être affecté par mon feu, pas plus que les animaux de la forêt, quand bien même ils seraient un loup. Toutefois je ne connais pas la composition de ton être, alors ma réflexion ne dépasse pas ce stade)), et si tu as un cœur pur, est-ce que tu seras porté vers le mensonge? Mais je me souviens du petit mensonge, de la petite omission que je viens de faire, et je me dis que ce serait peut-être possible que tu mentes un peu. Genre que tu te doutes que je suis cette autre femme, mais que tu ne veuilles pas pousser la question par respect pour mon désir de mutisme sur le sujet.

Et au fond, ça ferait juste de toi une personne bienveillante.

Enfin, assez parlé de la teneur morale des petits mensonges d’omission.

De toute manière, parce qu’ici un malheur ne peut pas arriver sans un autre, voilà que je sens ton corps se raidir avant de se stopper net, et quelque chose, non, quelqu’un vient s’écraser contre ma queue et je ne peux retenir un glapissement de surprise. C’est que ma queue n’est pas faite de la même manière que celle de bien des animaux, elle ressemble plus, morphologiquement, à une queue de serpent sur laquelle les écailles du haut avaient été échangées pour une fourrure longue. Bref, j'ai mal, et pour le coup, la couverture, on repassera.

« Qu’est-ce qui se passe? » je tente de murmurer, mais vu la distance entre toi, moi, et l’autre, sûrement qu’on pouvait m’entendre. À travers les plis de ton manteau, je peux entendre la voix d’un homme qui t’accoste. Et parfois on entend une voix et on s’imagine la personne derrière – et bien, ici, j’imaginais un colosse, une armoire à glace. Rien de bien avenant pour nous, en tout cas.

Et puis ça bouge bien vite; une voix qui en devient trois, on te nomme par ton nom ((j’assume, Ferro ça sonne pas comme du slang ou une insulte qu’on te lance, mais je peux me tromper)) , et moi, je me demande si je dois intervenir, ou si je peux intervenir, plutôt! T’as l’air d’être dans de sales ennuis (monétaires! Ah – l’avarice est rampante chez les créatures qui donnent de la valeur aux biens matériels. Et pourtant une voix dans ma tête me rappelle que tu es pur, et qu’il y a bien des manières d’acquérir des dettes. Hey bien, oui, je fais clairement du favoritisme envers les gens au cœur pur. Je leur pardonne bien des choses que je ne pardonne pas aux autres); mais avant que je ne puisse bouger, tu as pris tes jambes à ton cou dans la direction opposée, et-

« Hey! » que je dis, « on ne va plus dans la bonne direction! » mais bon, sûrement que c’était le moindre de nos problèmes. Après tout était-il possible de se rendre hors de la ville par un autre chemin, mais celui-là c’était clairement pas pour nous. Et moi qui abhorre tellement la bataille (ou l’idée de la bataille), je pousse un souffle de soulagement en voyant que t’es pas du genre à te battre. Bon, ça aide qu’ils aient la supériorité physique et numérique, mais bon, t’as eu le bon réflexe! Il n’y a rien de honteux à fuir un combat. « Tu es brave » et c’était un compliment autant qu’une énoncé, au fond, et je dis;

Et, trop curieux que je suis, je me tortille dans tes bras pour sortir la tête, prendre une bouffée d’air frais et puis je constate de notre cheminement ainsi que de l’ombre des trois robustes qui sont à ta poursuite. Je suis comme bien des créatures, j’ai le désir d’aider même quand je ne devrais pas fourrer mon nez dans les affaires des autres. Pour les questions sur tes dettes, ça devra attendre un peu, là-

« Fait attention, tu vas piler sur ma qu- »

Mais il était trop tard, ce qui devait arriver arriva; en me trémoussant pour sortir ma tête, j’ai libéré ma queue et dans un mouvement, elle se retrouva à empêtrer ta course et nous faire tomber tous les deux au sol. « Niko! » que je m’écris d’abord – parce que peu importe combien j’ai mal, je me dis que ce doit être pire pour toi, quoique j’aie amorti ta chute de mon corps. Voilà que je m’extirpe de sous toi et de dedans ton manteau, ma queue touffue s’hérissant comme pour nous obfusquer alors que mon museau froid et mouillé vient se frotter contre ta joue.

Drôle de sensation que celle qu’on aurait en s’attendant à frôler une peau pour, plutôt, se rendre compte que tu es un être de métal. Je ne peux pas juger – la vie, aussi artificielle qu’elle fut, reste la vie, et dois être respectée. Étant assuré que tu allais t’en remettre, me voilà qui fait quelques bonds gracieux et lupins dans les airs pour venir causer quelque grabuge, faisant tomber les poubelles sur mon chemin pour bloquer, au moins temporairement, le route de nos vils pourchasseurs. « Vite, par ici! » que je te dis, bondissant avec vélocité vers toi – l’heure de se cacher était passée, disons, et maintenant mon seul but était de nous sortir tous les deux de là avec tous nos poils sur la tête. Je me dirige donc vers ce que je connais de mieux, vers ce qui m’inspire le plus de sécurité : la hauteur. Je me laisse porter vers le haut d’un balcon, à partir duquel je fais tomber une échelle métallique qui te permettra d’y grimper aussi. Je n’ai peut-être pas la force de te soulever, mais ça, au minimum, je peux le faire. « Aide moi à la relever derrière toi! Comme ça ils ne pourront pas nous suivre et on pourra se promener sur les toits » en théorie, en tout cas. C’est ce qu’ils font dans les romans d’aventure, non?