Me demande pas comment j’ai fait pour entrer chez toi – un homme ne peut pas révéler tous ses secrets! (J’ai demandé à Dutch de m’ouvrir. Pratique de pouvoir passer au travers du mur pour déverrouiller de l’intérieur) Et puis en plus, si je te le dis, ça m’enlève tout le charme du mystère, t’as vu? Enfin; tu sais pas parce que quand je me suis infiltré en catimini, t’étais pas là. Sûrement parti en ronde (je dis ça comme si j’avais pas mémorisé ton horaire par cœur (je le connais mieux que mon propre horaire)). Mais! Promis, cette fois, c’est pour rien de louche (et oui – tu lis « cette fois » et tu es tout de suite rassuré); je me suis juste dit que tu aimerais manger un truc en revenant de ta ronde (normal jusque-là, mais tu sais comme moi que ça peut pas durer), alors je me suis dit que j’allais cuisiner directement dans ton appartement (est-ce qu’on peut appeler ça des appartements, au Q.G.?) pour m’éviter de transporter tous les plats finis jusqu’à chez toi (pourquoi faire 100m avec des plats de plastique quand tu peux faire 50m avec des emplettes). EN plus, c’est bien, comme ça ça sentira bon la tourtière chez toi.

Ouais. C’est peut-être pas le plus imaginatif, de faire manger de la tourtière à un loulou. Mais je me dis que c’est mieux que d’essayer le dernier plat végan que j’ai fait tester à Dutch. Il a pas aimé, directement. Dutch est beaucoup de choses, mais il n’est pas mauvais public. Bon c’est surtout un spectre et il n’a pas vraiment besoin de manger, alors… peut-être qu’il se fout de ma gueule, c’est une option non négligeable. En tout cas c’est pour ça que je suis (encore) chez toi. Et puis j’ai commencé à faire à manger… et puis pendant que ça cuit, je me suis mis à faire la vaisselle… et une chose en emmène à une autre, tout naturellement, et me voilà en train de plier ton lavage. T’inquiètes, j’ai séparé le blanc des couleurs, et en plus, j’ai réussi à faire partir quelques tâches de sang douteuses d’un haut (oui, ce qui t’inquiètes, dans tout ça, c’est nécessairement la séparation des couleurs).

« Raul? » ma voix est montée dans les aigues dès que j’ai entendu la clef tourner (dans le vide, comme c’est déverrouillé) dans la poignée de porte; c’est comme un choc électrique qui se propage de la racine de mes cheveux jusqu’à la plante de mes pieds, qui me fait danser légèrement sur place alors que je me propulse (non vraiment, y’a de la force dans le mouvement) vers la porte pour… pour quoi? Je n’y ai pas pensé; te demander un câlin dès ton arrivée (ou un câlin tout court) ce serait abuser… n’est-ce pas… ?

Alors je m’arrête, un peu benêt, devant la porte ouverte, large sourire sur les lèvres alors que je commence à parler sans fin en vue; « Bonsoir! Oh gosh, ça sent bon, tu trouves? Je me suis dit que tu aurais faim en revenant du boulot, tu travailles fort et c’est Vendredi soir, et- Oh, t’inquiètes pas, c’est juste de la tourtière… faire à la main… avec ma propre pâte… et puis je pouvais pas juste te servir ça alors j’ai fait aussi un plat de légumes au four… avec des patates nouvelles… dans une papillote… Puis bon comme t’as pris plus de temps que je pensais pour revenir, j’ai tué le temps en… » geste vague vers le reste de ton appartement. Si dans la prochaine semaine tu n’arrives pas à trouver divers petits trucs d’apparence première sans importance, il va sans dire que c’est probablement ma faute. « Oh, euh- pardon, entre, bienvenue chez toi » que je dis simplement, faisant un pas sur le côté

Si t’avais prévu relaxer chez toi ce soir, juste comme ça, considère que c’est mort.